Du graffiti en braille… Vraiment ? Suite à la découverte de cet art hors norme, Talentéo a voulu en savoir plus. Rencontre avec The Blind, un graffeur au projet novateur.

Depuis 10 ans, il a fait de la rue un lieu pour son art. Si elle reste illégale, la pratique de The Blind ressemble surtout à une signalétique pour les déficients visuels. Pour ceux qui ne pouvaient pas voir ses graffitis a jailli une idée : du graffiti en braille, pourquoi pas ? En renversant la situation, tandis que la personne voyante ne dispose souvent pas des outils pour comprendre cet art, The Blind joue sur les mots. La Tour Eiffel ? « Vu et revu ». Un palais de justice ? « Pas vu pas pris ». Parce qu’il voit les choses en grand, Talentéo est parti à sa rencontre.

Photo d'un non-voyant qui découvre un graffiti en braille

 

De son nom, nous ne retiendrons que The Blind. Passionné de voyage et pudique, c’est dans le street art qu’il se dévoile au sein de son collectif, mais aussi au travers de plusieurs projets. Il rêve aujourd’hui de créer un mur d’escalade pour déficients visuels, où les prises seraient… des inscriptions en braille ! Une escalade à l’aveugle, pour ne pas avoir peur du vide. Un artiste à suivre !

Passionné de street art, vous avez créé un véritable concept. Vous imaginez des graffitis, mais pas n’importe lesquels, pour les déficients visuels. Comment vous est venue l’idée de proposer des graffitis en braille ?

Lors d’une soirée entre amis, nous parlions de graffiti. Alors que l’on considérait que cet art était visible par tous, j’ai naturellement répondu « pas par tout le monde, pas par les aveugles  ». L’idée est partie de là. J’ai ainsi décidé de proposer du graffiti pour les aveugles. C’est un bon contrepied car le graffiti est un art visuel. De plus, à l’époque, le graffiti en 3D était très répandu. Je suivais donc une tendance, tout en proposant quelque chose de nouveau, qui inversait la situation entre voyants et non-voyants. Dans la façon de réaliser les graffitis, la démarche est similaire au graffiti vandale, car je m’approprie les murs. Visuellement, avec les graffitis en braille, les personnes se sentent moins agressées, on perd ainsi la connotation « voyou ». J’ai déjà fait croire que je faisais de la signalétique pour aveugles lorsque des policiers m’ont interpellé. Lorsqu’on parle de « handicap », le rapport à l’humain est tout de suite fort, on pense que c’est une bonne chose pour les personnes en situation de handicap. Pour l’anecdote, j’ai écrit « pas vu pas pris » à côté d’un palais de justice. Le directeur du palais de justice l’a délibérément laissé car il aimait l’idée. Finalement, l’administration a demandé à ce que le graffiti soit retiré.

Comment avez-vous appris le braille ?

J’ai appris le braille par des recherches. J’ai passé énormément de temps sur Internet et dans les livres.

Votre démarche va à l’encontre des stéréotypes. Vous cherchez à jouer sur les mots, avec des citations à la fois ironiques et remplies d’humour. Quel message voulez-vous faire passer ?

J’écris ce qui me passe par la tête. L’important, c’est de regarder les choses qui nous entourent. On est en permanence sollicité visuellement, avec des publicités, des affiches politiques etc. L’image est trop présente dans le monde dans lequel on est. Je pense que l’on oublie les lieux fonctionnels comme les bâtiments et les trottoirs, mais aussi notre patrimoine. Je travaille sur des lieux qui ont beaucoup de force. Je commence par faire le repérage d’une ville, en regardant les lieux symboliques et les monuments. Suite à cela, je réfléchis à des phrases et les possibilités de les mettre en œuvre, j’ai notamment besoin de savoir durant combien de temps je peux accéder à un lieu. Pour les phrases que j’écris, le travail nécessite 3 considérations : le lieu, le bâtiment, et le sens que l’on peut donner à l’endroit.

Photo d'un graffiti en braille de The Blind devant le Palais de Tokyo : "L'art te touches?"

L’art te touche ?

Les malvoyants et non-voyants ne peuvent pas découvrir vos graffitis sans être accompagnés par un voyant. Finalement, votre démarche a-t-elle pour but de créer de l’interaction entre déficients visuels et voyants, et de rendre la situation handicapante pour ces derniers ?

Tout à fait, la démarche permet de mettre les voyants, qui n’ont pas les clefs pour comprendre l’alphabet en braille, dans une situation de handicap. Au contraire, la personne aveugle va tout de suite comprendre de quoi il s’agit. J’essaie d’inverser les situations, et le travail est beaucoup lié à l’humain. Comment voir où il y a des annotations en braille ? Une personne voyante, en découvrant les graffitis en braille, va pouvoir demander au non-voyant ce que signifie la phrase et ainsi, l’emmener sur le lieu de la découverte pour toucher l’écriture en braille en relief.

Votre logo nous rend curieux… Plutôt que de le décrire, nous en profitons pour le montrer à nos lecteurs. Peut-on savoir ce qu’il signifie pour vous ?
Logo du graffeur The blind qui propose des graffitis en braille

La main, c’est mon côté rock and roll. Je viens d’une culture du graffiti, illégale, et je reste très proche de celle-ci. Aventureux, j’aime la prise de risque. La balance représente la justice. Pour moi, la justice est aveugle. La canne correspond aux personnes aveugles, au « blind power ». Avoir la main levée, cela permet de montrer que les gens existent. Dans mon travail, je mets le fond avant l’esthétisme, qui reste très simple. Le but est d’être efficace et d’éviter les fioritures.

Talentéo cherche à concilier handicap et emploi. Qu’est-ce que vous aimeriez trouver dans notre société pour faciliter l’emploi des personnes en situation de handicap ?

L’idée, c’est l’insertion. Qu’il s’agisse de personnes en situation de handicap, mais aussi de racisme ou de personnes sortant de prisons, les patrons et directeurs ont besoin d’être ouverts à l’insertion. Ensuite, les structures des bâtiments sont essentielles, pour que les infrastructures soient accessibles. J’ai pu notamment voir des rampes d’accès, qui finissaient par une petite marche… C’est ne pas aller au bout d’une idée, avec quelque chose d’utile qui n’est pas fonctionnel par la suite. C’est globalement une question lourde de sens qui mériterait d’aller plus loin. Au niveau de l’art, cela permet de donner confiance, et cela peut, entre autres, avoir un impact dans le travail. Au travers d’initiations, j’ai mis en place des travaux participatifs, ce qui crée des liens forts. Etre malvoyant, voyant, aveugle, autiste, peu importe, tant que l’on peut travailler ensemble. Ainsi, sur un mur en blanc, j’ai proposé un travail collaboratif autour d’une phrase : « voir les choses en grand ». Pour les aveugles, le travail avec de la peinture, des couleurs, des formes, c’est une échelle impressionnante et un rapport au corps très particulier. Cette phrase est pleine de sens : voir les choses en grand, c’est aussi aller voir plus loin, ne pas s’arrêter au handicap. Les institutions ont besoin de ne pas rester bloquées sur des vieilles méthodes, et d’aller au-delà des habitudes en termes d’art pour les non-voyants. Par exemple, pourquoi ne pas refaire la Joconde ? L’art, c’est bien plus que des travaux manuels, on peut jouer avec les sens, et c’est aussi de la recherche et de la culture.

Un mot de fin à faire passer à nos lecteurs ?

Ouvrez les yeux sur ce qui nous entoure et sur le monde dans lequel on est.

Photo d'un graffiti en braille de The Blind devant la Tour Eiffel : "Vu et revu"

Vu et revu.

Merci à The Blind pour cet éclaircissement et un premier pas pour Talentéo dans le monde du street art. Vous pouvez suivre ses aventures sur sa page Facebook et voir ses réalisations sur son blog.

Que pensez-vous de ce projet ? Vous avez des idées pour relier le handicap à l’art ? 

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