Nous avons eu l’honneur de réaliser une interview de Marie Bochet, quintuple championne du monde handisport dans la catégorie « Ski debout ».
Réalisant un grand chelem sur toutes les épreuves, Marie Bochet a 19 ans et fait des Jeux Olympiques de Sochi le sommet de sa carrière. Entre Bac à préparer, entraînements à assurer et saison à organiser, voici l’interview vérité d’une jeune femme qui a la tête bien sur les épaules. Propos recueillis par Fabien Ferre.

Talentéo : Suite à tes exploits dernièrement à La Molina, quelle est l’image qui te resterait si tu ne devais n’en retenir qu’une de ces championnats du monde ?

Marie Bochet : Je dirais que c’est l’arrivée de la dernière manche du Géant, qui était la dernière course en individuel. C’était le sacre du Grand Chelem. C’était vraiment un grand moment. Ma famille était venue sur cette manche-la puisqu’ils étaient arrivés dans la matinée. Ce fut un grand moment que j’ai partagé avec eux. En plus, ça finissait de manière parfaite cette semaine.

Talentéo : La question qui fâche maintenant : beaucoup de compétiteurs et même des dirigeants ont prétendu que la descente que tu as gagnée pour ta première course et qui a lancé ton Grand Chelem était une farce et pas vraiment une descente ! Qu’en penses-tu ?

Marie Bochet : Je pense que ce n’était pas une descente comme on l’entend ou comme on l’imagine, c’était une descente qui n’était pas vraiment difficile non plus, après cela n’enlève rien au mérite de ms championnats du monde de cette année. C’était une course comme une autre. En haut, il fallait savoir glisser, et une partie technique en bas dans laquelle il fallait savoir produire du ski technique. C’était une descente assez courte, assez simple, pas forcément comme on les voit à la télévision chez les valides, mais il fallait quand même être bon ce jour là et je crois qu’il n’y a rien à dire de plus. Les championnats du monde de cette année le méritent, et on a le droit aux félicitations, car ce n’est pas parce que certains sous-entendent que ce n’était pas une vrai descente, qu’ils ne sont pas champions du monde.

Talentéo : Il semble que cette année, tu aies trouvé la bonne alchimie pour dominer quasiment chacune des épreuves pendant toute la saison, as tu eu un déclic pour réussir aussi bien dans les disciplines techniques que les disciplines de vitesse ?

Marie Bochet : Il faut dire que j’avais déjà un bon niveau, pas forcément un très bon niveau, j’avais déjà un bon niveau sur les disciplines techniques puisque je gagnais déjà en Géant et en Slalom. Il a fallu rajouter un petit peu de travail sur les disciplines de vitesse pour pouvoir être amenée à jouer le Grand Chelem cette année. C’était un petit peu plus de travail fourni sur les épreuves de vitesse, malgré tout j’ai quand même travaillé en technique parce que le niveau augmente et qu’il faut quand même rester au dessus. Je pense qu’il y a aussi de ma part une meilleure gestion au niveau de l’enchaînement des courses car nous ne sommes pas comme les valides, on ne se contente pas de faire 2 ou 3 courses pendant la semaine, on les fait toutes ! Cela représente un bel enchaînement, et il faut savoir récupérer pour ne pas être trop fatigué à la fin de la semaine.

Talentéo : Par rapport à ce Grand Chelem, certains pensent comme moi que tu es la Tina Mazé du ski handisport pour cette saison, cela te flatte comme comparaison, tu penses que tu n’es pas encore au même niveau qu’elle, ou tout simplement qu’il n’y a pas de comparaison possible ?

Marie Bochet : Je pense que ce n’est pas tout à fait comparable tout de même. Forcément, ça me flatte, après je crois que Tina Mazé est une très grande championne et je pense que je ne suis pas encore arrivée à son niveau parce qu’il faut dire que la concurrence est beaucoup plus élevée chez les valides qu’en handisport. Nous sommes 3 ou 4 pour jouer la victoire, elles sont une quinzaine à pouvoir gagner sur chaque course. Ce n’est donc pas comparable mais je pense que j’ai dominé ma catégorie comme elle l’a fait, donc sur ce plan-la on est à peu près identiques. Mais juste sur ce point !

Talentéo : Tu es lycéenne au Lycée d’Albertville, comment fais-tu pour concilier tes études et le sport de haut niveau ?

Marie Bochet : Je suis à la section d’Albertville, nous sommes libérés de Novembre à Avril, ce qui nous permet d’être concentrés principalement sur le ski. Nous avons quand même un devoir à rendre par mois pour chaque matière. C’est bien les premiers mois, mais j’avoue qu’en Février et Mars, ça a été très compliqué ! Je n’ai pas pu les rendre, mais un mail aux professeurs leur expliquant la situation permet de trouver des solutions. Ils sont très compréhensifs. C’est ensuite à nous de faire le travail à la rentrée en Avril, et d’être capables de se remettre vite dans nos cahiers et ranger les skis ! Il me reste 3 mois pour passer le bac, alors priorité aux études maintenant.

Talentéo : Pendant la période hivernale, quel est ton rythme d’entraînement ?

Marie Bochet : La plus grosse parte de l’entraînement se fait en Automne, en hiver, nous n’avons pu le temps de nous entraîner. Cette année, je vais reprendre le ski en Juillet, car je ne pourrais pas faire le stage de Juin du fait du Bac. La plus grosse partie de l’entraînement se fera sur les 3 mois d’Automne, Septembre, Octobre et Novembre sur les glaciers. On fait des blocs de préparation de 5 à 7 jours, on répète nos gammes et cela nous amène sur les premières courses. Ensuite, je vais de temps en temps faire quelques entraînement avec mon club valide quand je peux rentrer chez moi. Mais depuis le début du mois de Janvier, on est rentrés chez nous 3 ou 4 jours entre chaque étape, donc on a plutôt envie de se reposer que de remonter sur les skis. C’est plus compliqué de faire des entraînements en plein milieu de l’Hiver.

Talentéo : T’arrive-t-il de faire des compétitions avec des skieurs valides ?

Marie Bochet : J’ai commencé toute petite avec les valides. Je faisais des compétitions avec eux. Aujourd’hui le planning est très chargé, donc on a peu de temps pour s’entraîner déjà, donc faire d’autres compétitions est très difficile. C’est pourtant intéressant de se mesurer aux personnes valides, car ça nous tire vers le haut et cela nous permet d’apprendre de nouvelles choses.

Talentéo : Vu de l’extérieur, on a l’impression que l’ambiance est super bonne au sein de l’équipe de France de ski handisport, tu nous le confirmes ?

Marie Bochet : Cela se passe plutôt très bien avec l’ensemble des athlètes. Après, on passe quand même une très grande partie de notre année ensemble. Tout l’hiver on est dans la même équipe, la vie en collectivité peut présenter certains désagréments, donc de temps en temps on est bien content de rentrer chacun de notre côté pour mieux se retrouver après. L’ambiance en équipe de France est très bonne en début de saison, même si après, les défauts de chacun ressortent en fin de saison ! Mais de manière générale, c’est plutôt très bien.

Talentéo : Quel est le souvenir que tu gardes de tes premiers Jeux Paralympiques à Vancouver ?

Marie Bochet : L’ambiance à la cérémonie d’ouverture ! Cela m’a beaucoup marqué, car c’était impressionnant. Nous n’avons pas l’habitude d’être médiatisés, d’avoir un grand public à l’arrivée ! Donc de rentrer dans ce stade plein à craquer, cela donne beaucoup d’émotion. Ensuite, les Jeux de Vancouver ont été une expérience un peu délicate pour moi, car je pense que j’étais trop jeune et j’ai eu du mal à gérer la pression, et que mes deux 4ème places ont été dures à avaler. Cela reste tout de même une expérience dans l’optique des prochains jeux. J’espère que je les apprécierai mieux.

Talentéo : Dans un an, Sochi. Sans vouloir te mettre de pression, tu vas nous ramener 5 médailles ?

Marie Bochet : C’est bizarre, tout le monde me dit ça : sans te mettre de pression ! Sérieusement, je pense que cela va être difficile. Je sais comment il faut faire, je l’ai fait cette année, et je crois que lorsqu’on est capable de faire quelque chose, on est capable de le refaire ! L’année prochaine pourtant risque d’être une année difficile. Elle va être longue parce que les Jeux pour nous sont début Mars et qu’il va falloir tenir le rythme toute la saison. De plus les Jeux représentent d’autres enjeux que les championnats du monde et qu’il va falloir être capable de tenir la pression et de réussir à faire son ski sans être dépassé par les évènements.

Talentéo : Justement, penses-tu avoir un programme de préparation spécifique du fait de la date tardive des Jeux Paralympiques ?

Marie Bochet : Je pense qu’on va plus travailler sur la durée pour la saison prochaine, afin d’arriver en forme sur le mois de Mars. Je pense que l’on va rester sur un rythme de travail similaire à celui de cette année pour ne pas être trop chamboulés non plus dans la préparation. On a une petite routine d’entraînement, et ce n’est pas l’année prochaine qu’il va falloir essayer de nouvelles choses.

Talentéo : Quelles seront tes principales concurrentes pour ces jeux paralympiques ?

Marie Bochet : Il y aura l’allemande (Andréa Rothfuss, NDLR) qui est derrière moi sur chaque discipline, sauf au Super G où elle est sortie, et qui fait des podiums et des victoires à chaque course. Elle a un niveau presque similaire au mien, elle va être capable d’élever son niveau, donc il va falloir que j’élève le mien aussi. Ensuite Solène Jambaqué, une autre française, est capable de nous surprendre sur les épreuves de vitesse. Il y a aussi une slovaque (Petra Smarzova NDLR) qui n’a pas beaucoup travaillé cette année à cause de ses études. Il va falloir que je fasse aussi attention à elle, car l’année prochaine on aura toutes les Jeux dans la tête. Je devrais me méfier de chacune d’entre elles car elles voudront toutes la victoire.

Talentéo : As-tu une idée du budget que tu engages pour chaque saison, même si tu es aidée par des sponsors ?

Marie Bochet : Avec mes sponsors qui sont très généreux, et j’en ai beaucoup, cela me permet de ne pas avoir grand chose à débourser de ma poche. On fonctionne avec un forfait à la saison. En début de saison, on parle tous ensemble avec les athlètes et les coachs pour décider du montant que l’on est prêt à débourser. Ensuite selon les déplacements, selon les entraînements, etc. le coach nous donne le montant du forfait, et en fin de saison, on paye tous entre 2000€ et 3000€ selon la participation aux courses.

Talentéo : On a vu cette saison un petit frémissement médiatique, sans doute dû à ton Grand Chelem, mais on constate tout de même que vous êtes beaucoup moins médiatisés que les valides. Cela vous dérange-t-il, ou avez-vous tous intégré cet état de fait et vous faites avec ?

Marie Bochet : Je crois que la médiatisation a un double tranchant, en fait. C’est très intéressant pour nous vis à vis de nos sponsors, de tous les partenaires que l’on peut avoir, car du coup on peut les représenter dans la France entière, voire dans le monde entier… Donc oui, cela nous aide à trouver des sponsors. Mais il y aussi ce côté où les médias nous mettent un peu la pression. Il y a donc un nouveau paramètre à gérer qui n’est pas forcément évident. La médiatisation est très positive sur certains points, mais peut aussi être très dérangeante. Je suis très consciente que le handisport est de plus en plus médiatisé. C’est très bien, parce qu’au niveau de la fédération on va être beaucoup plus reconnus, et il y aura donc sans doute plus de moyens. Mais il va y avoir aussi des « à-côté » qu’il va falloir gérer. Donc je pense que je vais bénéficier d’une préparation mentale pour m’aider, car je pense que l’année prochaine, de par les Jeux de Sochi, on va être plus médiatisés.

Talentéo : Tu as aujourd’hui 19 ans, penses tu qu’il sera possible pour toi de faire une longue carrière ?

Marie Bochet : J’ai commencé assez jeune aussi, je vais donc voir comment ça évolue, aussi en fonction des Jeux que je vais faire. Si on rêve, imaginons que je fasse 5 médailles d’or à Sochi, je pense qu’il sera difficile après de faire mieux. Tout dépend des résultats, je pense qu’il faut savoir s’arrêter quand on est au sommet et ne pas chercher à retrouver ce que l’on a vécu sans jamais le retrouver. Il faut être capable de s’arrêter au bon moment. J’ai commencé mes premiers Jeux à 16 ans donc si j’en fais encore 1 ou 2 ce sera bien. Mais on verra comment ma carrière suit son cours, et je pense qu’il y a aussi autre chose que le ski dans la vie. J’en ferai toujours pour mon plaisir mais la compétition s’arrêtera à un moment ou un autre.

Talentéo : Que penses-tu des pistes de Sochi, que vous avez testées dernièrement ?

Marie Bochet : La piste de descente est très technique, elle est très intéressante. C’est une belle descente avec des sauts, un beau mur pour commencer donc cela va être compliqué. C’était intéressant d’avoir skié dessus cette année, donc on sait à quoi s’attendre l’année prochaine, sur quel profil de piste il va falloir qu’on s’entraîne cette année. Le slalom risque d’être en nocturne même si ce n’est pas encore confirmé. Ce n’est pas une piste qui est magnifique, extraordinaire, mais ça reste une belle piste. Je pense qu’il peut y avoir un beau spectacle, surtout si c’est en nocturne. Cela va changer de notre routine et être très intéressant.

Nous remercions de nouveau Marie de nous avoir accordé une partie de son temps si précieux, et lui souhaitons toute la réussite possible dans ses échéances à la fois sportives et scolaires.

Et vous, que lui direz-vous ?

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