A l’occasion de la journée nationale des aveugles et malvoyants le 4 octobre, Talentéo a voulu partir à la rencontre de Nacer, alias l’Handicapable. Humoriste, boxeur et chef de projet sénior au sein de Paris 2024, nous avons eu l’occasion de le découvrir au concours Ouverture de Champ organisé par LADAPT. Focus sur ce talent haut en couleur et hyperactif !
Pouvez-vous vous présenter et présenter votre parcours ?
Je m’appelle Nacer, j’ai 37 ans. Au niveau professionnel, j’ai d’abord travaillé dans l’hôtellerie. Cela me plaisait, mais c’était un peu dur d’être loin de ma famille. C’est pourquoi je suis retourné étudier à la fac d’Aix-Marseille, d’où je suis originaire. Cela dit, je voulais garder un pied dans le monde professionnel. J’ai donc choisi l’apprentissage et j’en garde encore un très beau souvenir. J’ai même été major de promo et j’en suis très fier !
J’ai aussi eu beaucoup de chance, car j’ai réalisé ces 3 années d’apprentissage au sein de la direction de la stratégie et des fusions/acquisitions du groupe Vivendi. Ensuite, j’ai rejoint Thalès à la direction de la stratégie. J’ai été engagé dans cette grande entreprise technologique pendant 3 ans en tant qu’analyste, puis analyste senior en stratégie et intelligence économique où j’ai découvert d’autres sujets passionnants.
Par la suite, j’ai eu envie de quitter les grands groupes et d’être un peu plus autonome. C’est ainsi que j’ai monté un petit cabinet de consulting en stratégie avec un volet business, une autre production d’événements et une partie RSE. Je me suis mis à donner des conférences, à organiser des événements autour de la boxe et du stand-up, deux véritables passions pour moi.
Ainsi, cette expérience de l’entrepreneuriat m’a énormément apporté. J’ai même quelques victoires à mon actif comme :
- Un discours à Bercy au ministère de l’Économie et des Finances avec Bruno LE MAIRE ;
- De nombreux portraits dans les médias ;
- Des invitations pour des conférences TEDx ;
- L’organisation de soirées de boxe et de contenus mêlant sport et humour ;
- J’ai été mobilisé par Handicap International…
C’est à cette occasion d’ailleurs que j’ai trouvé mon surnom de l’Handicapable. En effet, je me sens capable de faire de nombreuses choses (rire). Personnellement, je ne me sens pas en situation de handicap.
Enfin, un jour, j’ai eu la chance d’être contacté par Gilles RENOUARD, à la direction des ressources humaines de Paris 2024. Il m’a alors proposé de candidater à des offres susceptibles de m’intéresser en vue d’intégrer le comité d’organisation. J’ai donc eu le privilège de rejoindre le Comité, d’abord à la direction de la marque, des événements et des cérémonies. Puis, en juin 2021, j’ai rejoint la Direction des Ressources Humaines et l’équipe en charge des volontaires de Paris 2024.
Travailler au sein de Paris 2024 est une expérience de vie incroyable ! Il y a des personnalités différentes, des nationalités différentes et des sujets complexes. C’est là tout l’enjeu des Jeux de Paris ! Ils sont avant tout le résultat d’une vision forte, que ce soit en termes de pratique sportive, d’accessibilité universelle ou même de diversité. Le slogan le dit assez bien, « ouvrons grand les Jeux », c’est faire en sorte qu’ils soient ouverts à tous et à toutes.
Enfin, cerise sur le gâteau, j’ai repris les arts martiaux. Ancien pratiquant de karaté, d’aïkido et de judo, j’ai signé au PSG Judo en avril. J’ai été vice-champion de France des moins de 100 kg au mois de juin. D’ailleurs, j’ai eu l’honneur d’être appelé en équipe de France paralympique avec un premier objectif de taille en novembre prochain : les championnats du monde de para-judo !
Maintenant, j’espère pouvoir continuer à m’entraîner tous les jours et concilier ma vie professionnelle, sportive et le spectacle. Et oui ! Quand je peux, je monte sur scène et je me produis, notamment, au Paname Art Café ou encore au Fridge Comedy Club.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de monter sur scène ?
Un moment assez difficile dans ma vie. Avant de me lancer dans l’entrepreneuriat, j’ai eu des problèmes personnels et de santé. J’ai été atteint d’une hernie discale foudroyante et je me suis presque retrouvé en fauteuil, j’ai failli perdre ma jambe. J’étais mal dans ma peau et j’avais aussi arrêté le sport.
A ce moment-là, un ami m’a dit que je devrais faire de la scène. Ainsi, la première fois que je suis monté sur scène dans le cadre du concours Kandidator, au Feu de La Rampe, cela m’a redonné le sourire. Aujourd’hui, ce qui me donne envie de jouer, c’est surtout le contact du public. Alors, oui, c’est assez paradoxal, vous ne voyez rien et vous allez dans un endroit où tout le monde vous voit…
Nous vous avons découvert lors du concours Ouverture de Champ organisé par LADAPT, quels souvenirs gardez-vous de cette expérience ?
Ce soir-là, il y a eu un certain éclectisme en termes de handicap et c’était assez amusant de jouer sur scène avec, à côté, un traducteur en langue des signes. En effet, il est difficile de se rendre compte au quotidien, mais les sourds et malentendants sont assez exclus de la société. J’ai trouvé cela génial de participer à un show aussi inclusif !
Cependant, c’est dérisoire en termes d’offre culturelle quand vous savez qu’il y a 12 millions de personnes en situation de handicap aujourd’hui. Alors, si vous ajoutez les aimants et les aidants, nous serions environ 25 millions. Des événements comme celui de LADAPT, ce sont des événements que nous devrions faire de manière plus récurrente, tous les mois.
Pour banaliser le handicap, il faut arrêter d’en faire un sujet tabou. Beaucoup de dispositifs existent, il y a de nombreux moyens. Je pense que le changement, c’est surtout dans les mentalités qu’il faut l’opérer.
Alors oui, j’ai adoré participer au concours Ouverture de Champ. J’ai apprécié qu’il y ait plusieurs types d’humoristes avec différents types de handicaps et notamment des handicaps invisibles.
A travers votre spectacle, vous parlez de votre handicap et pratiquez l’auto-dérision, quels ont été les retours de votre public ?
Mon spectacle est en construction. Je travaille avec Ali Bougheraba, auteur, comédien et metteur en scène, qui a eu un Molière en 2017 et m’apporte un enseignement important : raconter une histoire. Le spectacle que nous sommes en train de construire est donc un voyage au sein de ma vie. En effet, plus ma vue a baissé, plus mes capacités extra-sociales, mon envie de voir le monde, ont grandi. Quand j’y réfléchis, si je n’avais jamais eu mon handicap, je n’aurais jamais fait tout ça.
Pour la petite anecdote, à la fin de mon spectacle, les gens pensent toujours que je joue sur scène le rôle d’un aveugle, que c’est un personnage. C’est vous dire à quel point le stéréotype d’une personne aveugle avec ses lunettes de soleil et sa canne blanche est ancrée dans les mentalités.
Lorsque j’arrive sur scène, les spectateurs sont gênés, mais après la première blague de lancement, ils oublient. Bien sûr, mon spectacle n’est pas centré que sur le handicap, mais c’est un fil conducteur et les gens réagissent plutôt bien, je pense que le rire est un moyen pédagogique de vulgarisation du handicap.
J’en profite pour faire une digression sur le mot « handicap ». Le handicap ne veut pas dire que je ne suis pas capable. Cela signifie avant tout que j’ai une contrainte, mais avec celle-ci, je vais faire les choses.
Vous pratiquez également la boxe, comment avez-vous réussi à concilier sport et handicap ?
Un jour, j’ai été mobilisé avec Handicap International. Je leur ai alors proposé, en rigolant, de faire un combat entre un ancien champion du monde de boxe et moi, afin de faire parler de l’ONG et de leur cause. Ils m’ont pris au mot et je me suis pris au jeu.
J’ai ainsi rencontré un ancien champion du monde de boxe, à Marseille, Mehdi SAHNOUNE. Finalement, ce fut une belle expérience ! J’ai découvert une discipline que je connaissais peu. J’ai eu la chance d’être accompagné par un club, le B’O Boxing à Achères dans les Yveline. Le coach, Olivier BONINE, et son adjoint, Patrick EDGARD, ont vraiment adapté la formation. Ils n’avaient jamais eu de personne ayant une déficience visuelle et, même, ce n’est pas commun.
Aujourd’hui, je suis le seul malvoyant de France à avoir été autorisé par la Fédération Française de Boxe à passer l’approbation fédérale, qui est la première étape du boxeur. Je l’ai obtenu et je remercie encore la FFB, et notamment le Dr Amine BENOUNNANE.
J’ai aussi fait des combats d’exhibition avec des valides comme Medhi SANHOUNE, ancien champion du monde WBA. J’ai boxé avec Yvan MENDY, champion d’Europe et challenger mondial. Enfin, j’ai rencontré Souleymane M’BAYE, 3 fois champion du monde WBA, mais aussi Raphaël TRONCHET, plusieurs fois champion de France poids lourds et j’en passe…
J’ai également rencontré la crème de la crème des entraîneurs comme Houari AMRI. Il était l’ancien entraîneur de Jean-Baptiste MENDY, ancien champion du monde WBC et WBA. En outre, il était préparateur physique du PSG. Malheureusement, il nous a quitté à la fin du mois d’août. C’est lui qui m’a redonné l’envie, les contacts et les clefs pour reprendre le judo. J’ai donc un devoir moral de réussite, au-delà de l’envie, j’aimerais arriver jusqu’au suprême et dédier cette victoire à sa mémoire.
Vous travaillez aussi pour Paris 2024, quel poste occupez-vous ?
Aujourd’hui, je suis chef de projet senior de l’engagement du programme des volontaires. Je suis en charge, aux côtés de ma manager, Julie TOUSSAINT et Alexandre MORENON-CONDE, respectivement Manager et Directeur, de l’identification des candidats au programme du volontariat olympique et paralympique.
Nous avons plus de 200 partenaires avec qui nous travaillons pour identifier un certain nombre de volontaires. D’ailleurs, une campagne grand public sera ouverte bientôt. Mon travail consiste alors à supporter l’équipe dans toutes les phases du programme. Je suis vraiment impliqué au cœur d’un des plus gros projets de Paris 2024. C’est un plaisir et une fierté d’y travailler.
Pour rappel, le programme des volontaires, c’est un des maillons essentiels du modèle de livraison des Jeux Olympiques et Paralympiques. En effet, nous allons mobiliser 45 000 personnes qui seront de véritables ambassadeurs des Jeux de Paris.
Dans vos différentes expériences, votre handicap a-t-il été un frein ?
En fait, ça dépend. Dans mes études, cela a été un frein. Finalement, le fait de ne pas pouvoir lire le tableau, de ne pas avoir d’ordinateur pour prendre des notes, m’a beaucoup desservi au début. Cependant, cela m’a forcé à travailler ma mémoire. C’est devenu, par la suite, ma force.
Dans le monde professionnel, le déficit visuel fait peur. Vous voyez quelqu’un avec une canne blanche et énormément de questions se posent : comment va-t-il faire si je lui envoie les documents ? Est-ce qu’il arrive à lire ceci ou cela ? Les collaborateurs et managers sont pleins d’interrogations.
Il faut souligner que, dans les grands groupes, cela a été plus ou moins compliqué pour moi selon l’approche et la culture d’entreprise. Par exemple, chez Vivendi, il n’y avait pas de Mission Handicap. Néanmoins, le DRH de l’époque, Stéphane ROUSSEL, était très engagé sur le sujet et a toujours été très à l’écoute. Il m’a permis d’avoir de nombreux aménagements notamment en termes de matériels ou encore pour m’aider à trouver un logement. Il trouvait cela génial qu’une personne porteuse d’un handicap visuel puisse être aussi autonome.
Puis, paradoxalement, vous avez des structures, comme chez Thalès, où vous avez une Mission Handicap et plein de moyens. Là, ce qui bloque, ce sont plutôt les doutes des salariés qui peuvent freiner l’intégration et l’évolution d’un employé.
Quelles sont vos prochaines actualités ?
D’un point de vue professionnel, au sein de Paris 2024, nous allons bientôt lancer la campagne de communication autour du programme des volontaires.
D’un point de vue sportif, ce sera, au mieux, les championnats du monde à Bakou, en Azerbaïdjan, avec l’équipe de France paralympique. Cela dit, si je ne suis pas sélectionné, ce sera les championnats de France dans le Nord, au mois de janvier.
Du côté de mon spectacle, je vais faire 30 minutes de test à l’Apollo Théâtre au mois de décembre.
Avez-vous un message à faire passer à nos lecteurs ?
J’ai envie de dire aux personnes en situation de handicap qu’il y a le temps de l’acceptation, le temps du deuil mais il y a aussi le temps de l’action. Il faut avancer et vous donner les moyens pour pouvoir faire les choses !
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