Chaque mois, Talentéo part à la rencontre de personnes aux parcours différents pour poursuivre sa série « Travailler avec un(e) collègue en situation de handicap ». Cette fois-ci, venez retrouver Mme Anne Ferjani, professeure des universités, qui nous raconte sa vie quotidienne en cohabitation avec sa sclérose en plaques depuis cinq ans. 

Qu’est-ce-que la sclérose en plaques ?

La sclérose en plaques est une maladie chronique du système nerveux (cerveau et moelle épinière) touchant plus de 2 millions de personnes dans le monde, et 80000 en France. C’est une des premières causes de handicap non accidentel chez l’adulte. Elle touche en majeure partie des adultes jeunes entre 20 et 40 ans et les femmes. C’est une maladie dont les symptômes varient beaucoup d’une personne à une autre, tout dépend de la localisation des lésions dans le cerveau ou la moelle épinière. Le plus souvent, il peut s’agir de symptômes moteurs allant de la faiblesse musculaire à la paralysie, des troubles de l’équilibre, visuels ou encore urinaires, des problèmes cognitifs affectant la mémoire, la concentration, les capacités d’organisation etc… Souvent, les malades ressentent également une fatigue extrême. Le plus souvent, la maladie évolue par crises qu’on nomme poussées avec une aggravation subite, suivie d’une récupération plus ou moins complète, elle nécessite souvent des hospitalisations et des soins appropriés. A l’heure actuelle, il n’existe pas de traitement pouvant guérir la sclérose en plaques. Néanmoins, depuis une dizaine d’années, beaucoup de nouveaux traitements se développent pour agir sur les mécanismes de la maladie, réduire les poussées, la gravité du handicap et enfin améliorer la qualité de vie des malades au quotidien.

Connaissez-vous des personnes célèbres atteintes de SEP ?

  • Catherine Langeais, ancienne speakerine de la TV française
  • Marie Dubois, actrice des années 60
  • Dominique Farrugia, comique, directeur de chaîne TV
  • Romain Vidal, fils de la chanteuse Michèle Torr et du chanteur Christophe
  • Anne Rowling, décédée à 45 ans, la mère de JK Rowling, auteure de Harry Potter

Quels sont les préjugés les plus courants quant à l’efficacité professionnelle des personnes atteintes de SEP ?

Les préjugés les plus fréquents, à mon avis,  portent surtout sur les capacités physiques réduites des personnes atteintes de SEP puisque c’est le seul handicap « visible ». Mes aptitudes sont fluctuantes : après des poussées, les « mauvais jours » etc., et personnellement je jongle avec les aides techniques comme la canne et le fauteuil roulant. Mes collègues sont parfois surpris de me voir me lever de mon fauteuil roulant électrique, tenir debout et faire quelques pas pour me rendre au toilettes. Je suis obligée de demander de l’aide pour me tenir ou ouvrir une porte lourde, être accompagnée pour qu’on me porte du matériel, ordinateur ou autre, me chercher des documents dans une armoire… La plupart de mes collègues m’aident volontiers mais parfois, j’ai de rares refus, par des personnes estimant que je dois « pouvoir le faire seule ». C’est surprenant et je pense que c’est probablement par méconnaissance de la maladie ou par refus d’apporter une aide répétitive : « on veut bien vous aider spontanément une fois ou deux pour dépanner mais pas dix ». La maladie est fort mal connue et le cliché que monsieur « Tout le monde » a à l’esprit est celui d’une personne se déplaçant en fauteuil roulant sans avoir d’idées précises de la nature des difficultés qu’elle vit. Pourtant de nombreuses personnes qui ont la SEP ne se déplacent pas forcément en fauteuil ! On appelle parfois la SEP la maladie invisible, car la nature des handicaps est discrète et variée. Ainsi, une personne n’ayant pas fait part de sa maladie mais ayant des troubles de l’équilibre peut être accusé à tort d’avoir abusé de boissons alcoolisées !

Certains collègues ne tiennent pas forcément compte de certaines spécificités de mon poste de travail. J’ai un poste à temps partiel, je pratique le télétravail pour une bonne partie, je me rends sur mon lieu de travail un jour fixe de la semaine avec des horaires liés à mes transporteurs en véhicule adapté et mes auxiliaires de vie à domicile. Ainsi, il m’est souvent impossible de me rendre à des réunions, à cause des horaires, du lieu ou du jour où elles sont programmées. Je ressens parfois une exclusion du système même si j’essaie de m’adapter le plus possible.

Quels sont les symptômes courants que l’on retrouve dans le monde du travail ?

De très nombreux symptômes de la maladie peuvent être gênants dans le monde du travail, mais avec un poste de travail comportant du matériel adapté, préconisé par un ergothérapeute et/ou un ergonome, obtenu par le biais FIPHFP (fonction publique) ou l’AGEFIPH (secteur privé) mais aussi l’aide de collègues avertis, on peut grandement en réduire les inconvénients. La première démarche consiste à demander à son médecin du travail une étude de son poste de travail pour obtenir un aménagement, notamment au niveau du matériel et des horaires, et trouver les solutions les meilleures possibles.

Voici les symptômes courants les plus gênants dans mon activité :

 

  • La mobilité réduite mais qui peut être largement compensée par un matériel spécifique, dans mon cas c’est un fauteuil roulant électrique, une chaise de travail ergonomique à mon bureau, du matériel informatique adapté. Bien sûr, j’ai besoin de mes collègues régulièrement, simplement pour m’ouvrir une porte ou chauffer mon plat au micro-onde à la pause déjeuner ! J’ai actuellement fait une demande pour obtenir quelques heures d’une auxiliaire de vie professionnelle, jouant le même rôle que celui plus connu d’une assistante de vie scolaire.

 

  • Les troubles de mémoire, de concentration et d’organisation qui se répercutent aussi bien sur ma façon d’enseigner que sur mon travail de chercheur. Je les compense par une organisation différente dans mes taches quotidiennes : une planification rigoureuse, un rangement sans faille de mes fichiers informatiques et de mes documents, un relevé journalier de toutes mes taches et de leur avancement, la tenue d’un agenda, une anticipation importante car le manque de temps me stresse et me bloque. Je privilégie les réunions de travail en petit comité avec mes collègues. Plus concrètement,  pour dispenser mes cours, je m’appuie sur la technologie informatique en m’affranchissant complètement des cours écrits sur des feuilles volantes éliminant le risque de mélanger mes feuilles avec le moindre courant d’air ou de les laisser tomber. Je travaille régulièrement avec une neuropsychologue et avec une orthophoniste spécialisée pour rééduquer ou développer des stratégies me permettant de compenser ces faiblesses.

 

  • La fatigue, je dirais même l’épuisement, dus aux fluctuations de ma SEP et aux traitements. Je dois gérer ma fatigue en adaptant mes taches du jour. Il n’est pas forcément facile de le faire comprendre la nature pathologique de cette fatigue, et la différence par rapport à une fatigue ordinaire, tellement courante dans notre mode de vie. Je dois parfois écourter mes journées et accepter de reporter certaines taches, ce qui peut parfois surprendre.

Quelles sont les réelles difficultés des personnes atteintes de SEP dans leur travail ?

L’absence d’une personne référente formée au handicap sur son lieu de travail. Les correspondants handicaps actuellement nommés dans la fonction publique sont malheureusement déconnectés des réalités du terrain, peu formés et sommés d’accomplir cette nouvelle tache en surplus des habituelles. Je rêve d’une personne de proximité, qui en complément, puisse me soutenir dans les difficultés qui ne manquent pas de survenir au quotidien et qui peuvent souvent se résoudre facilement mais pas à distance. J’ai à l’esprit une anecdote : j’ai vécu plusieurs mois pendant lesquels l’accès à mon bâtiment était jonché de débris de verre. J’ai du remuer ciel et terre au niveau administratif, pour obtenir un entretien régulier des lieux afin d’éviter les crevaisons. Bref, le référant de proximité serait une personne présente et attentive, qui permettrait de pouvoir garder toute son énergie, si précieuse pour le plus important : effectuer son travail.

Des difficultés réelles pour obtenir les aménagements nécessaire à l’exercice de sa profession dans de bonnes conditions. Finalement, il suffirait d’obtenir en toute simplicité l’application du principe de compensation du handicap. Les difficultés sont le plus souvent d’ordre humain dans la mesure où la personne chargée de la mise en application des préconisations du médecin du travail ne perçoit pas toujours l’ampleur des obstacles que le travailleur handicapé rencontre, surtout par manque de formation et parce qu’elle ne possède pas les clés nécessaires pour régler rapidement le dossier. Il y a une inertie incroyable dans ce système.

Des difficultés dans la mise en conformité des bâtiments par rapport à la loi sur l’accessibilité de 2015. Il est évident que les moyens budgétaires ne sont pas présents. Concrètement la circulation entre les bâtiments est difficile et l’ouverture des portes strictement impossible pour une personne à mobilité réduite, ce qui restreint grandement sa liberté de circulation.

Quelles sont les taches professionnelles impossibles à réaliser pour une personne atteinte de Sclérose en plaques ?

En ce qui me concerne :

 

  • Effectuer une tache avec un niveau attentionnel trop prolongé comme participer à des réunions de travail très longues et en présence de plus de trois ou quatre collègues.
  • Donner un cours ou une conférence trop prolongés.
  • Porter seule la responsabilité d’un projet complexe.
  • Sauter d’une tache à une autre très rapidement, en quelques minutes, car je manque de flexibilité mentale. Je dois pouvoir m’adapter et prendre mon temps.
  • Toutes les improvisations : partir en déplacement de façon non programmée, rendre des documents avec des délais insuffisants…

Comment en parler à son équipe de travail ?

J’en parle facilement aux personnes qui me posent des questions en toute simplicité. Mais cela n’est possible que parce que j’ai bien intégré la maladie et que je suis à l’aise avec mes handicaps. J’en discute donc avec tous les collègues abordant le sujet sans tabou et je leur explique volontiers mes limitations mais n’hésite pas à discuter de mes compétences et des avantages que je peux leur apporter.

Si vous aviez un message à faire passer à tous les patrons français au sujet de l’emploi des personnes atteintes de SEP, quel serait-il ?

Une personne atteinte SEP a les mêmes envies qu’une personne valide et a à cœur de pouvoir continuer à mener une vie professionnelle, c’est une véritable bouffée d’oxygène. Pour cela, le secret est simple, il réside dans l’aménagement de son poste de travail. Je dis aux patrons français : « Osez jouer le jeu des adaptations des postes de travail, le professionnalisme et les compétences des personnes atteintes de SEP vont vous surprendre ».

Pour en savoir plus sur la sclérose en plaques, retrouvez la suite de l’histoire de Mme Anne Ferjani sur son blog : SEP as triste.
Pour plus d’informations sur la SEP et sur les recherches effectuées sur ce handicap, rendez-vous sur le site de l’association ARSEP.

Vous êtes atteint(e) de la sclérose en plaques et vous travaillez ? Votre collègue ou collaborateur en est atteint(e) ? Vous vous demandez si c’est le cas et voulez en parler ? Rendez-vous sur les réseaux sociaux !

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